vendredi 5 novembre 2010

LA MONTAGNE ROUGE (SANG): Occupation double

Illustration: 1g2



LE JEUNE HOMME

J’suis fatigué comme une chaise qui craque
comme un piano désaccordé
comme un pianiste qui a vendu son piano


comme un correspondant qui écrit pus
une clôture moisie
un batteur de femme


comme un plongeur dans un Normandin le 1er janvier

Steve Gagnon
La montagne rouge (SANG)

La journée avait commencé par une belle et bonne nouvelle: une vie de plus s’ajouterait peut-être aux nôtres l’été prochain, puis une moins bonne, une autre vie disparaîtrait probablement d’ici quelques semaines…C’est donc avec la joie accolée à la tristesse que je gravis les marches sacrées de LA MONTAGNE ROUGE (SANG) ...


Autour de nous, les remous silencieux du fleuve invitant,
et la montagne refuge, comme un certain asile de pureté…
(Une pensée furtive ici pour Claude Gauvreau...)

TABULA RASA


Ce silence lourd de conséquences dans le Périscope, comme un sorte d'avant-suicide " collectif " autour d'un monde empreint du faux semblant de la perfection. Dans les rôles outrageux des âmes en désarroi: le mal-être, le vide affolant du bien-pensant, l’aurore qui descend lentement sous la couette molle de tes amours endoloris. L’instant d’apprêt, tout ce qui nous le fait, tout ce qui nous le défait.

Les mots souffrants de La montagne rouge (SANG) m’ont tout simplement coupé le souffle. De toute manière, nous sommes tous presque morts, nous n’avons plus rien à perdre ni à gagner et nous avons toujours aussi droit qu'avant à l'erreur et à l'exactitude. Ce texte a de quoi faire revirer le sang de bord, le fouetter, le battre... pendant qu’il est encore chaud…Création du Théâtre des Fonds de Tiroir, cette oeuvre possède tout le prestige d'un grand classique, à voir et à revoir.

Steve Gagnon, l’auteur de la pièce, a de la dynamite dans son crayon mais il sait également comment dessiner les silences les plus purs et donc les plus intenses. Des silences profonds pour mieux meubler l’immensité de son théâtre. Des silences de ouate dans les oreilles pour mieux capter le choc de ses mots saignants. Du fin fond d'un autobus paqueté d'étudiants amoureux qui n’arrêtent pas de s'embrasser comme des rois qui cachent de l'or dans leur bouche, de se frencher, LA MONTAGNE ROUGE (SANG), un genre d'occupation double comme vous n’en verrez jamais jouer dans votre salon sur votre super grand petit écran de plasma. Une heure et quart de haute définition pour entrer sous la peau fripée et mouillée des deux jeunes et prodigieux comédiens que sont Claudiane Ruelland et Steve Gagnon.

Un temps d’arrêt de mort en ce temps pluvieux de novembre. Des mots perdus entre les limbes gazonnés d'une forêt fantôme et les bras tendus au ciel d'une vendeuse de crème glacée en plein milieu de d'l'Afghanistan, des mots parfois durs et tordus, colériques, coupables, palpables, tristes; des mots venus de l’amour, du grand, du vrai peut-être, celui que l’on croyait " normal ", celui qui vous donnait des coups de pieds dans le ventre et qui vous brisait les os…

VENTRE et OS…comme dans LA MONTAGNE CHAIR et LA MONTAGNE BLANCHE, les deux prochains épisodes de cette trilogie refuge…

Dans le rôle de la jeune femme: Claudiane Ruelland, lumineuse comme un ange, au timbre de voix parfaitement ajusté aux mots tendres/crus/mous/tendus que l’auteur a créé pour elle et lui, Juliette qui aurait survécu à Roméo, sculpture salée bonne à sucer...Et dans celui du jeune homme, Steve Gagnon, beau comme un dieu, la tête lourde dans un corps de pluie, pieds nus au vent, yeux pleins de cette lumière qui carburent à même le plasma des étoiles, créateur d'un vrai monde qui fait encore partie du nôtre...

Frédéric Dubois signe ici une mise en scène souple/statique/rigide/fluide, superbement soutenue par des éclairages tamisés/sombres/crus, selon les mots de l'auteur, constellée de sons venus d'une profondeur qui se rend jusqu’au fond de la douleur de celui parti en coup de vent et de celle restée assise sur le bord de ses questions…Comment ne pas s’être senti aussi bien que mal devant l’inconfort de la table/lit à tiroirs, des chaises qui assoient le torrent des larmes et des colères…des chaises qui craquent…

Toute cette pluie ....vulnérable sous les autos ...qui s'abattait dans les rues de Québec hier soir à la sortie du Périscope, cette eau avec des restants de feuilles fragiles accrochées aux arbres solides…Dans l’autobus, sur les vitres, des gouttes venues d'un torrent…d'une chute. Et aucun couple d’amoureux à l’horizon dans le fond de l’autobus.


LA MONTAGNE ROUGE (SANG)

Texte Steve Gagnon
Mise en scène et scénographie Frédéric Dubois
Assistance à la mise en scène et régie Adèle Saint-Amand
Interprétation Steve Gagnon et Claudiane Ruelland
Scénographie, costumes et éclairages Sébastien Dionne
Mouvement Geneviève Dorion-Coupal
Environnement sonore Uberko
Direction de production Julie Marie Bourgeois
Direction technique Matéo Thébaudeau
Production Théâtre des Fonds de Tiroirs

 
En guise de souvenir: le texte de la pièce. Édité à L’INSTANT MÊME, il était offert au bar du Périscope pour seulement 12 dollars. Douze beaux dollars pour quelques soixante-dix pages d'un texte qui fera inévitablement des petits, douze gros dollars de plus à verser dans la cagnotte de la Culture au lieu de les gaspiller en douze babioles à no future...



" Toute ma croyance vierge t’est ouverte comme une sorte d’église sans dieu où tu pourras mettre ton âme au chaud dans le tabernacle. Ce sera un lieu sacré où il fera bon ne pas mourir. "


Ce sont ces mots sensibles de Sylvain Trudel que l’on retrouve en exergue du livre, on peut dire qu'ils sont de circonstance...






Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n'en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D'une nuit qui n'en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n'en sont pas revenus


Demain, c’est le 6 novembre, Barbara l’a déjà chanté.

CHANSON POUR UNE ABSENTE

La revoilà, en souvenir d'un ange noir de l'adolescence...






1 commentaire:

  1. Louise Langlois:
    Pour vous dire merci, mes impressions suite à cette magistrale performance du 4 novembre. Encore merci.

    Steve Gagnon:
    Merci infiniment pour vos mots.
    C'est magnifique ce que vous avez écrit. Ça me touche beaucoup, vous dites des choses qui sont invisibles mais tellement présentes dans mon texte et dans la parole que j'ai voulu porter que votre compréhension de l'œuvre est rassurante et fait tout mon bonheur.
    Merci encore. Merci d'être là et au plaisir de vous rencontrer.
    Steve Gagnon x

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